Entretien de l’Ambassadeur pour Aravot [hy]

Q : Quelles sont les priorités et les projets économiques et politiques dans les relations Arménie-France ?

R : L’Arménie dispose d’un potentiel de développement économique susceptible d’attirer des entreprises françaises. Les relations commerciales franco-arméniennes sont encore trop modestes, surtout si on les compare à l’excellence de notre dialogue politique. Je me réjouis que le Président arménien partage ce diagnostic et qu’il ait donné récemment des instructions à son administration pour faire évoluer cette situation.

La France fait mieux en matière d’investissement et se classe au deuxième rang en Arménie. Comme vous le savez, l’agence Business France travaille avec le Ministère de l’Economie et la Development Foundation of Armenia à renforcer l’attractivité de l’Arménie pour les investisseurs étrangers, dans le cadre d’un jumelage européen. L’Arménie doit se préoccuper non seulement d’attirer des nouvelles sociétés étrangères, mais aussi et surtout de travailler à ce que celles qui y sont déjà implantées et donnent satisfaction trouvent les conditions nécessaires pour y rester durablement. Il est important de résoudre tous les problèmes qu’elles pourraient rencontrer sur place. La réussite de ces investissements constituera un bon signal pour d’autres investisseurs.

La France est particulièrement présente dans le domaine de l’eau en Arménie. Deux sociétés françaises assurent actuellement la gestion de l’eau en Arménie depuis plus d’une décennie, Véolia dans la capitale et la SAUR dans plus de 400 communes du pays. Ces entreprises, qui ont beaucoup investi en Arménie à la satisfaction des usagers, sont intéressées à poursuivre leurs activités et à ce titre se positionnent dans la perspective d’un appel d’offres. Je leur souhaite un succès à la hauteur de leurs compétences techniques.

Les entreprises françaises sont également intéressées par le secteur des infrastructures et l’équipement urbains, notamment dans le domaine des transports. Elles suivront de très près les appels d’offres dans ce domaine. A ce propos, l’ambassade de France organise le 15 mars en coopération avec le Ministère du développement urbain une rencontre économique sur le thème « Repenser la ville pour mieux vivre ensemble ».

Par ailleurs, la France se préoccupe d’accompagner le développement des secteurs clés du développement durable de l’Arménie : l’agriculture, le tourisme, la santé. L’Agence française de développement a signé récemment avec le gouvernement arménien une convention de financement de 75 millions d’euros pour la construction du barrage de Vedi. Cette infrastructure permettra d’assurer une meilleure irrigation de la plaine de l’Ararat à des fins agricoles. La coopération bilatérale dans ce domaine connait des développements significatifs depuis le début de l’année 2014 et la signature d’un arrangement administratif entre les ministères français et arménien de l’agriculture conclu en mai 2014 lors de la visite du Président Hollande. Elle vise à une meilleure intégration et complémentarité des actions bilatérales au cadre européen et multilatéral. Les thèmes ciblés sont, au niveau institutionnel, le conseil agricole, et au niveau technique, les secteurs de la vitiviniculture, des produits laitiers et des indications géographiques protégées.

Q : Quels sont les intérêts de la France dans le Sud Caucase ? Concernent-ils le règlement du conflit du HK, la normalisation des relations arméno-turques ? Le 19 décembre, les Présidents d’Arménie et d’Azerbaïdjan se sont rencontrés à Berne. Dans leur déclaration faisant suite à cet entretien, les coprésidents du Groupe de Minsk avaient exprimé leur préoccupation quant à l’usage d’armements lourds et avaient constaté que les présidents avaient agréé leurs propositions en vue de créer des mécanismes d’enquête sur les incidents frontaliers. Mais l’Azerbaïdjan évite de manière persistante de donner une réponse positive à cette proposition des médiateurs. Quelles doivent être, d’après vous, les actions des coprésidents du GDM et de la communauté internationale en réponse à ce comportement de Bakou.

R : La France, en tant qu’acteur global, a toujours été attentive à la situation du Sud-Caucase, carrefour stratégique entre l’Orient et l’Occident et entre la Russie et le Moyen-Orient. Nos relations avec l’Arménie sont anciennes et profondes. Les échanges humains sont importants grâce notamment à l’importante diaspora arménienne en France. L’Arménie est dans le cœur de beaucoup de Français. Le règlement du conflit du Haut-Karabagh, dans lequel la France est particulièrement impliquée en tant que co-présidente du Groupe de Minsk, et la normalisation des relations arméno-turques font partie des priorités que nous soutenons. L’ouverture à terme des frontières avec la Turquie et l’Azerbaïdjan contribuerait à la stabilité et à la prospérité de cette région. C’est l’objectif que nous devons poursuivre tous ensemble de manière patiente et déterminée, sans se laisser aller à la résignation.

La situation au Haut-Karabakh n’est naturellement pas satisfaisante. Nous déplorons l’usage d’armes lourdes et le ciblage des populations civiles. On ne le répétera jamais assez : il n’y a pas de solution militaire à ce conflit. La France est pleinement engagée en tant que co-président du Groupe de Minsk dans la recherche d’un règlement pacifique du conflit, comme en a témoigné le sommet présidentiel organisé à Paris en octobre 2014. Il est indispensable que les parties respectent le cessez-le-feu et continuent de dialoguer autant que possible. La mise en place d’un mécanisme d’investigation des incidents sur la ligne de contact, proposée par les co-présidents du Groupe de Minsk, serait une mesure de confiance susceptible d’apaiser les tensions. Il convient en parallèle de créer les conditions du dialogue. Les médiateurs font régulièrement des propositions en ce sens. C’est aux parties de montrer la volonté politique de parvenir à des compromis sur la base des trois principes fondamentaux dits de Madrid.

Q : Quel peut être l’impact possible des relations tendues russo-turques sur l’Arménie et le conflit du HK ? Des députés communistes s’étaient adressés aux autorités russes pour demander l’annulation du traité de Moscou en date du 16 mars 1921. C’est intéressant, mais en Arménie aussi, il y a eu des personnalités, en l’occurrence l’ancien Ministre de la Défense, Vagharchak Haroutiounian, qui ont soutenu cette idée. Comment l’Arménie doit-elle se comporter dans des processus régionaux aussi complexes ? En réponse à cette initiative des parlementaires russes, la Turquie semble avoir répondu par la voix de son PM Ahmet Davutoglu, qui a accusé la Russie d’avoir violé l’intégrité territoriale de trois pays, la Géorgie, l’Ukraine et la Syrie, notant dans le même temps que l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan était également en question à cause du soutien russe aux actions de l’Arménie. Pour la première fois, Ankara a dénoncé la Russie comme une menace pour l’intégrité territoriale azerbaïdjanaise. D’après vous, cela ne rend pas plus difficile le règlement du conflit du HK ?

R : La France s’inquiète de la montée des tensions sur le plan régional. Elle a appelé la Russie et la Turquie à apaiser leurs relations. Dans cette région, il convient d’être vigilant à ce que de nouvelles tensions ne viennent pas s’ajouter aux problèmes déjà existants. En l’occurrence, je salue la politique de retenue des autorités arméniennes à cet égard. Pour ce qui est d’un éventuel impact direct sur le dossier du Haut-Karabakh, pour l’instant je n’en vois pas.

Q : Le 16 janvier est désormais considéré comme une journée « historique » pour l’Iran, dans la mesure où les sanctions occidentales contre ce pays ont été levées. Les autorités, les hommes d’affaires et les experts arméniens se prononcent en faveur de l’approfondissement des relations économiques, politiques et militaires avec l’Iran. Quelle est la position de la France sur l’approfondissement des relations entre l’Iran et l’Arménie et l’élargissement de la coopération énergétique entre les deux pays ?

R : Cette levée des sanctions contre l’Iran est une excellente nouvelle pour l’Arménie. Elle lui ouvre, ainsi qu’à la France, des opportunités sur le plan économique. L’Arménie a une belle carte à jouer en tant que pays de transit entre l’Iran, les pays occidentaux et les pays membres de l’Union économique eurasiatique. Il est essentiel pour cela de développer les infrastructures de communication entre les deux pays. La coopération avec l’Arménie dans le domaine énergétique a un fort potentiel de développement à moyen terme. Il est bien sûr dans l’intérêt de l’Arménie de diversifier ses partenaires économiques. Tout ce qui va dans le sens d’un renforcement de l’intégration régionale, qu’il s’agisse du système politique, du commerce ou de la coopération, va dans la bonne direction.

Q : La Russie est le partenaire stratégique de l’Arménie. Comment le gouvernement français évalue-t-il les actions de la Russie dans notre région ? Les relations arméno-russes, l’adhésion de l’Arménie à l’UEE ne constitueront-elles pas d’obstacle pour l’établissement de relations efficaces entre l’Arménie et l’UE ? Quelle est la portée pour l’Arménie du document que celle-ci et l’UE sont en train de négocier ?

R : L’adhésion de l’Arménie à l’Union économique eurasiatique n’a pas permis de signer l’accord d’association négocié avec l’Union européenne. Il s’agit d’un choix souverain de l’Arménie, que nous respectons. La France s’est faite dès l’annonce de cette décision de l’Arménie l’avocate d’une reprise du dialogue de l’Union européenne avec Erevan. Nous nous réjouissons de voir que les négociations en vue d’un nouvel accord entre l’Arménie et l’UE ont repris fin 2015 et qu’elles progressent bien. La visite de Mme Mogherini a permis de confirmer la motivation des deux parties à conclure un accord le plus ambitieux possible. Il est utile de rappeler régulièrement que l’Union européenne à 28 est le premier partenaire de l’Arménie sur le plan commercial, ainsi que le premier investisseur et le premier bailleur de fonds du pays. Nous souhaitons que ce partenariat s’approfondisse et que l’Arménie continue à se rapprocher des normes européennes sur le plan de la gouvernance. Il est important de poursuivre le mouvement réformateur pour améliorer le climat des affaires, renforcer l’indépendance de la justice et rétablir la confiance des citoyens dans les processus électoraux. Nous espérons que la future réforme électorale prendra dûment en compte les recommandations de l’OSCE/BIDDH et de la Commission de Venise.

Q : Quelle est votre attitude sur des déclarations venant des milieux politiques arméniens sur un soutien militaire [arménien] à la Russie et à l’OTSC en cas d’un conflit russo-turc (allusion aux récents propos d’Arthur Baghdassarian à Komsomolskaya Pravda selon lesquels, en cas d’un conflit armé, l’Arménie aurait dû apporter du soutien, y compris militaire, à la Russie en fonction de ses engagements dans le cadre de l’OTSC).

R : Nous n’en sommes pas là et j’espère bien que nous ne serons jamais confrontés à une telle situation. Je l’ai déjà dit, les autorités arméniennes adoptent une attitude retenue, prudente, et c’est, selon moi, dans leur intérêt. La France tient à rappeler à toutes les parties que nous avons un ennemi commun : le terrorisme. La Russie, la Turquie, la France et de nombreux autres pays ont été pris pour cible par Daech et ses affidés. La priorité est de mettre hors d’état de nuire le terrorisme djihadiste en Syrie, en Irak, en Libye et partout dans le monde.

publié le 20/12/2018

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